Il y avait des jours où on avait le moyen incontestable de se trouver au mauvais endroit, au mauvais moment. Précisément ce jour-ci, la demoiselle balte avait expérimenté le fort potentiel de Murphy de cette belle après-midi ensoleillée. Tout avait commencé par le simple fait que c'était l'hiver. Parce qu'il faut toujours un commencement, vous comprenez. Mais souvent, comme dans ce cas, la fin n'arrivait pas vite, prenait son pied à vous voir vous endormir, le nez dans vos céréales ramollies par le lait. Et riait en cœur avec les petits lutins qui déréglaient votre réveil. L'hiver, donc.. Le soleil était par conséquent une vaste boule de lumière froide dans un ciel grisâtre. Premier point négatif. Ensuite, plus de café. Pour la jeune femme qui en buvait par hectolitres, tasses après tasses, ce simple châtiment était plus que le supplice de Tantale au Tartare additionné à la torture de porter une robe. Un Enfer, j'vous dit.

En effet, Eldrid avait un léger problème de santé. Elle était narcoleptique. En d'autres mots, durant la journée, elle pouvait passer de l'état éveillé à endormi des centaines de fois. La durée du sommeil allait de quelques secondes à quelques heures. Donc, elle prenait des médicaments et buvait du café. Beaucoup de café. Elle s'enfilait tasses sur tasses, de toute sortes : café viennois, arabica, café noisette, moka, le tout plusieurs fois par heures. Ce qui n'arrangeait pas grand chose. Mais elle était quasiment droguée à la caféine,depuis le temps qu'elle en consommait. Son état de santé traduisait aussi une intense activité nocturne. L'animal totem de la fille était une chouette. Elle portait d'ailleurs constamment un médaillon en bronze orné de l'animal nocturne. Et, bien que la bestiole d'Athéna ne mangeait pas de glace Haagen Dasz dès 3 heures du matin, il restait quelques similitudes. Pour en revenir à nos moutons, la jeune femme était là, dans le couloir de verre, avait envie de dormir, sans caféine depuis le petit matin et avait un sacré mal de tête, tandis qu'elle s'efforçait de faire taire le flot continu d'informations qui passaient par son cerveau.

C'était donc une mauvaise journée. Elle aurait mieux fait de rester couchée. Ou d'arroser ses plantes. Ou d'aller en ville se réapprovisionner en café serré. Le plus souvent, c'était du déc', ici. Aucun goût.....

Elle regarda dehors, en plein milieu du couloir, jetant un œil distrait aux alentours à travers les verres de ses lunettes. Elle trébucha violemment sur les lacets de ses bottines, fit faire leur baptême de l'air à son sac, se ramassant avec la grâce et l'élégance d'un bébé phoque. Elle jura, en lituanien, et tenta de se relever avec courage. Sauf que le courage, pour en faire preuve, il faut en avoir. Et là, elle n'avait pas spécialement envie de se taper un aller-retour à l'infirmerie pour se bourrer de médocs chimiques. Elle soignait les maux autres que sa narcolepsie par la phytothérapie. En temps que membre actif du WWF, Greenpeace et tout le tralalala, il fallait bien ça non ? Elle était, il fallait l'avouer, presque excessive sur ce plan-là. Elle rampa à moitié jusqu'au mur de verre, s'adossa contre le mur en verre et ferma les yeux. Il lui fallut 5 demie-secondes pour s'endormir, en plein milieu du couloir surchauffé. Effet de serre ? Probable.

Elle resta donc là, petite adulte aux cheveux brun-rouges, ses lunettes tombées sur ses cuisses, la respiration paisible..... Restait à savoir si quelqu'un n'allait pas lui marcher dessus pendant sa promenade digestive et troubler les rêves de la lituanienne.